Comment reconnaître un mauvais groupe en 30 secondes ?

Tuto

A l’approche de la fin des votes, et donc des écoutes par le jury de notre Prix, nous nous sommes à nouveau tournés vers Bester Langs (élu produit de l’année catégorie punchline et accéssoirement membre du jury) afin qu’il nous livre sa méthode pour « reconnaître un mauvais groupe en 30 secondes » :

Alors que toute la team du Ricard S.A. Live Music est mobilisée pour valider les fiches des 1200 groupes en cours d’inscription pour l’édition 2015, et que quelque part ça nécessite une certaine dose de courage et un bon thermos de café parce qu’il y a déjà quelques perles à se tatouer sur l’avant-bras, j’ai profité de la précédente édition du Prix pour développer des techniques quasi scientifiques pour reconnaître les boulets musicaux à trois kilomètres. Afin d’entamer l’écoute du futur top 100 dans les meilleures conditions – c’est à dire : éviter de finir comme Van Gogh avec une oreille en moins – voici donc mes cinq critères essentiels pour devenir un bon profiler du mauvais riff. Le bulllshit detector qui suit est évidemment subjectif et n’engage que son auteur. N’empêche que c’est moi qui ai raison.


Le syndrome « Musicalement »


En économie, on parle de « signaux faibles » pour définir ces petits indices invisibles à l’œil nu qui annoncent des cataclysmes. Dans le monde de la musique, ce signal faible s’appelle le syndrome « musicalement », un dérivé malheureux du « cordialement » tiré du monde de l’entreprise et appliqué à un secteur qui n’en demandait pas tant. Le risque d’un tel procédé ? Un groupe inconnu au bataillon vous envoyant un mail en terminant la présentation de sa biographie par un « musicalement » a autant de chances d’être le prochain Jeff Buckley que Nicki Minaj d’un jour rentrer au couvent des bonnes sœurs. C’est prouvé statistiquement : n’importe quel groupe utilisant cette formule, et ce quel que soit le style de musique qu’il pratique, est condamné aux tournées de salles des fêtes communales avec mamie Germaine tapant des deux mains dans son déambulateur. Et comme au Scrabble, c’est mot compte triple si le « musicalement » est écrit en rose ou avec – là c’est point Godwin direct – la police Comic sans MS. Autres signaux faibles à considérer comme des indicateurs de WARNING : les groupes citant simultanément des influences tirées par les cheveux (Michel Delpech, David Guetta, Miles Davis et Panda Bear… comme dirait Grand Corps malade ça ne marche pas correctement), et aussi ceux capables d’utiliser des mots ou expressions bannies par la convention de Genève depuis 1998 (Rock fiévreux, combo, opus, etc).

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Le nom du groupe


On pourra dire ce qu’on veut, mais le nom d’un groupe c’est comme le strabisme chez Joe Dassin ou le nom d’un produit marqué sur l’emballage : le truc qu’on voit en premier. Dans 75% des cas, un nom qui fait mal aux yeux fait mal aux oreilles. Vous pouvez appeler ça une injustice ou une pose d’esthète sirotant son café au Café de Flore – what else ? – mais c’est comme ça : non, un groupe nommé Les Hobbits à pied plat ou Laids Crétins des Alpes n’a que très peu de chances de gagner le Prix Ricard S.A. Live Music. Il se peut également que ledit groupe ait décidé d’œuvrer comme un cheval de Troie en abolissant tous les principes en vigueur depuis 60 ans dans l’industrie du disque (un nom accrocheur, une pochette qui fait rêver) pour imposer sa musique du 21ième siècle. Si ce groupe existe, qu’il n’hésite pas à me contacter afin que je revende mon intégrale collector de Francis Cabrel pour m’improviser manager. En attendant de devenir millionnaire grâce à ce groupe au nom stupide, il existe évidemment des exceptions à la règle. Sur le papier les Two Bunnies in Love n’avaient certes pas le nom du siècle, n’empêche que les Normands ont su s’imposer par la qualité de leurs morceaux. Et puis deux lapins amoureux, c’est toujours mieux que The Fuckers niveau identité…

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La règle des 20 secondes


Là on entre pleinement dans le vif du sujet : l’écoute du premier morceau d’un groupe. Il y a plein de règles évidentes pour définir ce que doit être un bon morceau, mais il en est une plus importante que les autres : comme dans un premier rencard, tout se joue souvent dans les 20 premières secondes. C’est ce qu’on appelle la technique du « petit frisson ». Fermez le capot de l’ordinateur, déconnectez-vous de Facebook, lâchez du regard votre voisin de bureau qui ressemble à Franck Ribery ; bref éliminez tout ce qui pourrait polluer l’écoute des 20 premières secondes du morceau et faites votre examen de conscience. Si à défaut d’avoir les poils qui se hérissent vous ne ressentez pas un intérêt, une curiosité, une once de je veux en savoir plus, c’est que le morceau à 88% de chances (sondage FRIPSOS validé en présence de Maitre Etalon) de finir aux oubliettes. Et n’écoutez pas ceux qui vous disent qu’il faut réécouter un même morceau plusieurs fois pour se faire un avis ; ces gens n’ont rien entendu de bien depuis le live unplugged de Patrick Bruel en 1992. Et si la personne insiste en vous disant que « le disque est certes pas terrible mais que c’est mieux en live », fuyez en courant. C’est certainement l’attaché de presse qui pédale dans la semoule pour que vous évitiez de comprendre qu’en fait, le groupe est encore pire en live.

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La règle du « trois morceaux »


Okay. On a passé les trois précédentes étapes sans encombre : le groupe n’a pas signé son premier mail par un « musicalement », il n’a pas un nom à coucher dehors ni un survêt Adidas posé sur la pochette du disque et les 20 premières secondes du premier morceau ne t’ont pas donné envie de rendre ton petit déjeuner comme la fois où tu as entendu Calogero dire à la télé qu’il était fan de Led Zeppelin et Lofofora. Pour autant, le doute t’habite. Comme aurait dit Pascal Sevran, il faut parfois laisser la chance à plusieurs chansons. Mais pas trop non plus. Si la technique du skip est une solution – écouter les 20 premières secondes de chaque morceau – il est une autre règle impérative pour ne pas finir aux urgences après intoxication de mélodies cancérigènes : si les trois premiers morceaux sont médiocres, alors la suite est sans doute encore pire. On imagine mal pour quelle raison tout groupe normalement constitué déciderait de cacher le tube qui va les rendre millionnaires en fin de tracklisting. Vous ne me croyez pas ? Demandez à Stromae, aux Rolling Stones ou U2 ; chacun d’eux a placé son tube (respectivement Papaoutai, Sympathy for the Devil, One) parmi les trois premiers morceaux. Plutôt que d’espérer que le groupe vous ait fait une surprise en cachant sa pépite radiophonique tout au fond à gauche d’un disque inter-minable, partez faire une partie de ping pong en attendant que le disque ait tué tout le voisinage.

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Le clonage est interdit


« Pas mal cette ligne de basse en intro, tiens cette partie de chant me dit quelque chose… dis donc ce petit riff aérien il est pas mal… ». Quand ça commence trop bien, c’est parfois encore plus inquiétant. « Put*** mais c’est un pastiche du Spanish Sahara de Foals ! ». Bah oui, comme on dit chez moi, tu viens de te faire couillonner. Mentionner Foals pour clôturer ce bullshit detector n’a rien d’innocent. L’an passé, une quinzaine des groupes sélectionnés dans le top 100 du prix Ricard S.A. Live Music s’inspirait si fortement des Anglais que le mot « plagiat » s’écrivait en très gros – avec une police Comic sans MS – au-dessus de chacun des noms. Si refaire à la façon de est évidemment plus facile que de faire tout court, c’est pourtant la même direction que tous les mauvais groupes originaux précités : direction la porte de sortie ! Amis faussaires, pensez à bien maquiller vos emprunts car le jury, à défaut d’avoir un physique harmonieux, a au moins des oreilles et un minimum de culture générale. Fils de Phoenix, Lana Del Rey et consort, ne croyez pas qu’une copie de vos stars préférées vous empêchera de finir sur la trappe aux crocodiles…

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Voilà, vous êtes maintenant parés comme les chasseurs de Ghostbusters pour débusquer les groupes qui finiront en prison sans passer par la case départ. Dès la semaine prochaine, et parce que chez Ricard S.A. Live Music on est sévère mais juste, on vous explique comment repérer les bons groupes. Stay tuned…

À propos de l'auteur :
Bester

Fondateur et rédacteur en chef du site et magazine Gonzaï, Thomas (aka Bester) dirige également Jack, la plateforme musicale de Canal Plus. Il est l’un des membres historiques du jury du Prix Société Pernod Ricard France Live Music et écrit régulièrement sur le site pour dispenser des bons (et quelquefois mauvais) conseils aux groupes qui voudraient faire carrière.

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